Et si nous prenions le temps d’écouter les véritables besoins des jeunes ?

Et si nous prenions le temps d’écouter les véritables besoins des jeunes ?

 

📊 Une tendance préoccupante : que révèlent les chiffres ? Les statistiques actuelles soulèvent des questions essentielles sur la manière dont nous comprenons et traitons les émotions des enfants. Par exemple, en 2017, 23 % des jeunes Québécois au secondaire avaient reçu un diagnostic de trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH).

Pourtant, les données mondiales estiment plutôt que la prévalence du TDAH se situe autour de 5 à 7 %. Comment expliquer une telle différence ?

Derrière ces chiffres se cache un phénomène plus large : la tendance à médicaliser les émotions et comportements des enfants.

Lorsque des jeunes présentent des difficultés émotionnelles, scolaires ou comportementales, on a souvent tendance à chercher une cause individuelle – un trouble, un déséquilibre personnel ou un déficit. 

Mais si nous prenions du recul ?

Ce phénomène ne concerne pas que le TDAH. L’anxiété, la dépression et d’autres enjeux psychologiques sont de plus en plus diagnostiqués chez les enfants et adolescents. Une partie de ces diagnostics est bien sûr justifiée et nécessaire.

Cependant, de nombreuses études mettent en évidence l'influence majeure des facteurs sociaux et culturels dans le développement émotionnel des jeunes, influence souvent sous-estimée au profit d’une explication individuelle. 

 🤔 Faut-il remettre en question notre façon d’intervenir auprès des enfants et adolescents? 

Pendant longtemps, nous avons cru que les émotions étaient universelles, des réactions automatiques dictées par notre biologie. Cette vision, popularisée par des films comme Inside Out (Vice-Versa en français), repose sur l’idée que nous possédons tous un ensemble d’émotions de base – la joie, la tristesse, la colère, la peur, etc. – qui se manifestent de la même façon chez tout le monde.

 Or, les recherches récentes en psychologie, sociologie et neurosciences remettent en question cette perspective. Et si les émotions n’étaient pas préprogrammées dans notre cerveau ?

 

🧠 La théorie des émotions construites : un nouveau regard sur notre cerveau

La scientifique de renommée mondiale Lisa Feldman Barrett propose une approche novatrice selon laquelle les émotions ne sont pas des entités biologiques fixes, mais des constructions dynamiques du cerveau.

Son travail, basé sur des décennies de recherche, nous invite à voir les émotions comme un processus actif. Plutôt que d’être déclenchées automatiquement par une situation, les émotions sont des prédictions du cerveau, influencées par notre environnement, notre culture et notre histoire personnelle.

Un concept-clé de son approche est le Budget Corporel (body budget en anglais), qui explique comment le cerveau gère l’énergie du corps en fonction des demandes du quotidien.

 

💡 Le Budget Corporel : un outil essentiel pour comprendre les émotions

Imaginez que votre cerveau fonctionne comme un compte bancaire où les ressources physiques et mentales sont gérées en permanence.

Dépôts (+) : Actions qui régénèrent les ressources : • Alimentation saine, hydratation, sommeil • Attention positive, interactions sociales bienveillantes, gentillesse • Activités plaisantes et motivantes

Investissements : Actions coûteuses en énergie mais bénéfiques à long terme : • Scolarisation, apprentissage, développement de stratégies adaptatives • Sport, affirmations personnelles, engagement social

Retraits (-) : Facteurs qui engendrent une diminution des ressources du budget corporel : • Stress, surcharge cognitive • Isolement social, manque de repos 

Surtaxes émotionnelles (- - -) : Actions très coûteuses pour le budget corporel (ex. : manque de sommeil, surutilisation des écrans, consommation de drogues, violence physique ou verbale, conflits, traumatisme, etc.).

📌 La surtaxe émotionnelle fonctionne comme une carte de crédit : une ressource temporaire, mais avec un coût énergétique élevé à long terme.

 

 🦎 Une critique du modèle des trois cerveaux 

Un modèle souvent utilisé pour expliquer les réactions émotionnelles est celui des trois cerveaux (reptilien, limbique et préfrontal). Il présente les émotions comme des réactions automatiques et archaïques, en opposant instinct et rationalité. Cependant, ce modèle est aujourd’hui obsolète, car il simplifie excessivement le fonctionnement du cerveau et n’est plus supporté par la science.

Les sciences modernes montrent que nos émotions sont bien plus flexibles et adaptatives qu’une simple opposition entre raison et instinct. Le modèle du Budget Corporel apporte une vision plus dynamique et intégrée du cerveau, en tenant compte de l’impact de l’environnement et des interactions sociales sur nos émotions.

💡 Vers une approche plus holistique des émotions

  Miser sur les dépôts et les investissements.

• Encourager des relations positives : écoute, temps de qualité, aide à l’expression des émotions

• Offrir des opportunités sociales riches et variées selon les intérêts du jeune 

• Prioriser une routine de sommeil stable et une alimentation saine

• Être un modèle positif pour les jeunes

• Favoriser l’autonomie et la motivation intrinsèque

• Encourager l’activité physique

• Instaurer une culture de gratitude

• Instaurer une culture de compassion

 

🛠️ Repenser nos interventions

Quel est l’état de mon budget corporel en tant que donneur de soins ? Celui-ci influencera directement mes humeurs et ma façon de percevoir les comportements des jeunes.

Plutôt que d’interpréter rapidement les émotions d’un enfant, adoptons une posture de scientifique : restons curieux, tenons compte du contexte et posons des questions avant d'émettre des hypothèses. 

 

Quelques pistes de réflexion :

Quels sont les facteurs sociaux et environnementaux qui influencent les émotions des jeunes ?

Ex. Intimidation, pauvreté, négligence, pression scolaire, développement de la petite enfance, genre, appartenance ethnique, handicap, accès aux soins de santé, logement, etc. 

 

• Quels sont les ressources présentes dans l’environnement du jeune et de son entourage, pouvant les soutenir ?

Ex. Ressources communautaires, soutien scolaires, programme d’accompagnement, famille élargie, service de santé et d’intervention au privé et public, organismes communautaires, etc.

 

Et si, plutôt que de chercher des solutions rapides, nous prenions le temps d’écouter les véritables besoins des jeunes ?

 

David Mercier, Travailleur social, Équipe Mon Cercle